Le « corps glorieux » selon saint Grégoire de Nysse

Publié le 8 Avril 2013

Le « corps glorieux » selon saint Grégoire de Nysse

Selon saint Grégoire de Nysse, qui s’oppose aux théories d’Origène qui prétendait que l’homme fut d’abord une âme, un esprit non corporel immatériel tombé par sa faute dans la matière, l’homme a été créé par Dieu simultanément corps matériel et âme spirituelle. Le « corps glorieux » d’avant la chute pour Grégoire de Nysse, c’est donc l'unité de l’âme et du corps charnel matériel revêtu d’immortalité, non un esprit « immatériel » qui aurait été ensuite chargé de « matière » à cause du péché, comme le soutiendront les gnostiques.

D’ailleurs à la résurrection, le corps ressuscité sera bien identique au corps terrestre dans sa substance, dont les éléments sont réunis à nouveau, même s'ils seront transformés en un état spirituel "plus divin", et affranchis de la pesanteur. Grégoire de Nysse combat donc la doctrine origéniste de l'absence d'identité matérielle entre les deux sortes de corps d’avant et après la chute. Pour Grégoire de Nysse, l’homme est créé dès l’origine avec un corps « glorieux » constitué d’une âme et d’un corps de matière, et ce corps « glorieux », car immortel et non marqué encore par le péché, lui est donné par amour. Grégoire déclare : « On le voit, elle n’a ni queue ni tête, cette opinion cherchant à éta­blir que les âmes vivaient indépendantes avant leur existence corporelle et que le vice a été la cause de leur union à un corps. » (1)

« Pour Grégoire, l'existence de l'âme et celle du corps ont une seule et même origine et forment une seule réalité : l'âme et le corps surgissent en même temps. Sa conception est donc plus biblique que celle d'Origène. Il faut se garder, selon Grégoire, des fables d'une vie antérieure des âmes, provenant des grecs et des théories de la métempsychose. C'est ainsi que Grégoire critique ouvertement Origène : ‘‘Peut-être n'est-il pas hors de propos d'examiner la controverse qui agite les Églises au sujet de l'âme et du corps. L'un de nos prédécesseurs, à qui l'on doit le traité sur les Principes, pense devoir affirmer la préexistence des âmes, qui sont comme une sorte de peuple qui habiterait une cité isolée, où se trouvent aussi les modèles du vice et de la vertu. Tant que l'âme demeure dans le bien, elle ne fait pas l'expérience de l'union avec un corps; mais si elle déchoit de cette participation au bien, elle glisse dans la vie d'ici-bas, et c'est ainsi qu'elle entre dans un corps’’(2).

Cette comparaison peut être appliquée à l'homme en tant qu'être naturel, mais aussi en tant qu'être doué d'une âme spirituelle. Grégoire le fait dans une de ces comparaisons dont il a le secret. : ‘‘Deux hommes, en effet, peuvent être considérés en chacun de nous, l'un corporel et apparent, l'autre spirituel et invisible. Leur naissance est celle de deux jumeaux, puisqu'ils viennent au monde en même temps: car l'âme n'existe pas avant le corps et le corps n'est pas formé avant l'âme, mais ils viennent simultanément à la vie.’’ (3).

Grégoire suggère ainsi, au-delà du schéma temporel, une vérité métaphysique. Il cherche à exprimer quelque chose de beaucoup plus original, la création d'une réalité unique, l'homme.

Grégoire rejette aussi la position plus proprement néo-platonicienne de la nature quasi divine de l'âme. Pour lui, en effet, l'âme, bien que réalité spirituelle, est une réalité créée tout autant que le corps. L'âme, bien qu'elle soit en nous ce par quoi nous sommes l'image de la grâce déiforme, n'en est pas moins une réalité humaine donc créée... (Elle) vient de Dieu, mais elle n'est pas divine. Comme Clément d'Alexandrie (150-215), Grégoire soutient donc que l'homme est doté d'une âme depuis sa vie embryonnaire, et que cette âme unique est en symbiose irréfragable avec le corps.

Grégoire au nom de l'unicité de la nature humaine, qui n'est pas une association de végétal, d'animal et de rationnel combinés, mais tout simplement un homme qui est d'abord une réalité une, en laquelle, secondairement, on peut distinguer un double aspect, l'âme et le corps, tous deux en croissance concomitante. Grégoire suppose qu'il y a un développement parallèle de l'âme et du corps, dont l'harmonie relève précisément de leur origine commune. Les activités de l'âme augmentent 'proportionnellement' (analogôs) à la formation et au perfectionnement du corps. Ni platonicienne (âme exportée) ni néoplatonicienne (âme divine), sa doctrine, cette thèse anthropologique, bien développée dans un petit traité de Grégoire sur les enfants morts-nés (4), est capitale pour la christologie et la question de la résurrection.

L'homme est à la fois un être naturel qui vit selon les lois de la nature, et un être privilégié de Dieu, qui vit avec lui une relation unique. La théologie de la création de Grégoire de Nysse accentue deux données capitales du geste divin. Si l'une des caractéristiques de l'acte créateur est de créer les choses d'un seul coup pour qu'elles se déploient ensuite dans l'espacement (diastèma) de la création, l'autre caractéristique est qu'un acte de Dieu est toujours posé une fois pour toutes (hapax), car les dons de Dieu sont sans repentance (Rm 11, 29). La continuité vient donc de ce que l'acte créateur est à la fois unique et posé une fois pour toutes, mais se déploie pour nous dans notre temps créé. Ce qui explique que la finalité est inscrite dès le début et pour toujours dans l'acte créateur, même si elle ne nous apparaît que progressivement : ‘‘Le but et le terme du parcours ainsi fait, c'est la restauration dans l'état ancien, qui n'est rien d'autre que la ressemblance avec Dieu... Tout ce qui touche au corps maintenant, la mort, la vieillesse, la jeunesse, la petite enfance et la formation de l'embryon, tout cela est comme l'herbe, les barbes et le chaume, un chemin et un enchaînement, une puissance vers l'achèvement que l'on espère’’ (5).

Or la marque du péché est justement d'opposer le corps à l'âme ; la marque du salut est de les réunifier, afin que l'homme, redevenu un, ne soit plus divisé contre lui-même et que les deux modalités de sa nature ne forment plus qu'un être unique.

Saint Grégoire de Nysse explique : ‘‘Comme l'être humain est double, formé par le mélange d'une âme et d'un corps, les hommes sur la voie du salut doivent nécessairement prendre contact par l'un et par l'autre avec le guide qui les conduit à la vie. Mêlée à lui par la foi, l'âme y trouve le point de départ de son salut; en effet, l'union avec la vie implique de participer à la vie; mais le corps, lui, a une autre façon de jouir du Sauveur et de se mêler à lui’’ (6).

Certains textes de Grégoire de Nysse sur la résurrection sont parfois mal compris, soit parce qu'on ne tient pas compte de tout le contexte de son oeuvre, soit parce qu'on projette sur certaines de ses expressions des soupçons anachroniques de monophysisme. La résurrection du Christ n'est pas la disparition de son humanité soi-disant absorbée dans sa divinité, elle est au contraire la preuve de sa divinité à chaque instant de son histoire humaine personnelle, révélant rétrospectivement la vérité de la double nature à la conception, à la naissance et sur la croix.

Par delà la mort, la condition du ressuscité est restauration de la condition humaine projetée par Dieu avant le péché.

Le Christ ressuscité est donc incorruptible, et ce bienfait appartient aussi désormais à son humanité, qui n'en est pas supprimée ni absorbée, mais restaurée et glorifiée. Le Christ ressuscité n'est plus dans la chair considérée comme « tunique de peau » ; de cette chair-là, il est libre désormais. Mais il garde un corps appartenant pour toujours au domaine du créé. Rappelons que les « tuniques de peau », pour Grégoire de Nysse, représentent la « mortalité humaine », la « perte du don préternaturel de l'immortalité », tandis que pour Origène [dont la conception est hérétique], ces mêmes tuniques de peau signifient « la condition chamelle tout entière ».

La résurrection du Christ Homme-Dieu restaure tout homme dans son intégrité, corps et âme, par delà la mort. Rappelons-nous en effet l'unité de l'acte créateur, tel que Grégoire le présentait. Dieu ne nous crée pas pour que nous soyons des embryons ou des vieillards. Le but et le terme du parcours de cette vie n'est rien d'autre que la ressemblance avec Dieu. L'âme et le corps, indissolublement liés, poursuivent ensemble dans le temps un chemin qui mène à l'achèvement que l'on espère. Il ne faut pas oublier que corps et âme ont un but unique: la béatitude et la divinisation. Un corps achevé est donc un corps ressuscité... c'est le même don de la vie qui se développe jusqu'à la vie éternelle.»

Père Bernard POTTIER, S.J., L'humanité du Christ selon Grégoire de Nysse, Nouvelle Revue de Théologie, t.120, 1998.

Notes.

1. St. Grégoire de Nysse, La création de l'homme (abréviation Hom. op.), coll. Les Pères dans la foi, DDB, 1982, ch. XXVIII.

2. Ibidem, p. 147.

3. St. Grégoire de Nysse, In Canticum canticorum VII (abr. Cant.). Le texte grec se trouve dans Gregorii Nysseni Opéra (abr. GNO), vol. VI, édit. LANGERBECK, Leiden, Brill, 1960, p. 240-241 (= PG 44, 937BC). Cf. aussi ID., Le Cantique des cantiques, coll. Les Pères dans la foi, Migne, 1992, p. 174-175.

4. St. Grégoire de Nysse, De infantibu.spraematu.re abreptis (abr. Infant.), dans PG 46, 161-192, dans Dieu et le mal, coll. Les Pères dans la foi, Migne, 1997. Cf. J. DANIÉLOU, Le traité «Sur les enfants morts prématurément» de Grégoire de Nysse, dans Vigiliae Christianae 20 (1966).

5. St. Grégoire de Nysse, De mortuis oratio (abr. Mort.), PG 46, 520C-521A.

6. St. Grégoire de Nysse, La catéchèse de la foi, coll. Les Pères dans la foi, DDB, 1978, p. 95.

"L'âme, bien qu'elle soit en nous ce par quoi nous sommes l'image de la grâce déiforme, n'en est pas moins une réalité humaine donc créée... (Elle) vient de Dieu, mais elle n'est pas divine. La marque du péché est donc d'opposer le corps à l'âme ; la marque du salut est de les réunifier, afin que l'homme, redevenu un, ne soit plus divisé contre lui-même et que les deux modalités de sa nature ne forment plus qu'un être unique."

 Saint Grégoire de Nysse, né entre 331 et 341 à Néocésarée (actuelle Niksar en Turquie), dans la province du Pont-Euxin, mort après 394.  Citation : « De même, en effet, que dans la rénovation de l’univers, comme dit l’Apôtre, le Christ lui-même descendra en un clin d’œil, à la voix de l’Archange, et par la trompette fera lever les morts pour l’immortalité. » (Saint Grégoire de Nysse, L’âme et la résurrection, ch. XXIV)

Saint Grégoire de Nysse, né entre 331 et 341 à Néocésarée (actuelle Niksar en Turquie), dans la province du Pont-Euxin, mort après 394. Citation : « De même, en effet, que dans la rénovation de l’univers, comme dit l’Apôtre, le Christ lui-même descendra en un clin d’œil, à la voix de l’Archange, et par la trompette fera lever les morts pour l’immortalité. » (Saint Grégoire de Nysse, L’âme et la résurrection, ch. XXIV)

Rédigé par Restauration Universelle

Publié dans #corps gloire divinisation déification âme

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
W
Origin of man is still a mystery, even though so many beliefs are in prevail and some of these believes are called as theories. And i consider this one as an add up to that big collection of hypothesis. Anyways, thanks for the read.
Répondre